1789.
Les cris résonnent à sa fenêtre. Le peuple réclame le sang ; le peuple réclame des têtes. Elle sait que le Royaume de France change, beaucoup trop rapidement. Et elle sait qu'on va lui faire payer son appartenance à la noblesse. A-t-elle jamais eu le choix ? Non. A-t-elle jamais voulu être née dans une famille qui lui a fait épouser un homme alors qu'elle n'était qu'une enfant, un homme qui aurait pu être son père ? Non. Sa vie n'était que désespoir, et si elle était confortablement logée, elle n'avait jamais été heureuse. Et aujourd'hui, on veut lui faire payer son désespoir. Elle se précipite dans tous les sens afin de préparer ses affaires et de s'enfuir, dans un pays lointain, qui conserve sa monarchie en bon état. Mais elle, elle ne veut pas s'enfuir. Tout ce qu'elle voudrait, c'est disparaître. Disparaître à jamais, et ne jamais avoir affaire à ce monde.
Et soudain, elle disparaît.

1831.
Les siens ont été chassés, tués, violés, pillés. On leur a dit qu'il fallait partir, et s'il ne le voulait pas, on les forçait. Toute résistance était futile : les blancs avaient des armes qu'eux-mêmes n'avaient pas. Ils tuent les bisons, détruisent leurs villages. Ils se pensent si supérieurs.
Le sentier des larmes ; c'est comme ça qu'est appelé cette marché forcée vers l'Ouest. Les colons blancs vous ont remplacé, brisant des promesses qu'ils leurs avaient fait. Lui, il a tout perdu. Sa famille, sa femme, ses enfants. Tous massacrés. Il a tenté de se battre. Mais désormais, il est parqué dans une réserve. Et désormais, les blancs l'ont soumis ; ils le fournissent en eau-de-vie, et lui devient si inutile. Il a sombré dans l'alcoolisme. Et il est si honteux. Tout ce qu'il voudrait faire, c'est quitter ce monde, rejoindre ses ancêtres, disparaître pour toujours.
Et soudain, il disparaît.

1842.
Son esprit est prisonnier de la drogue que les Britanniques les forcent à prendre, à acheter. Il sait que cela le détruit petit à petit, mais il ne peut pas s'en passer. C'est tellement... paisible. Il prend de l'opium pour cacher sa honte, la honte de son peuple, en ce siècle de la honte. Eux qui étaient si puissants auparavant, qui avaient un empire, les voilà dominés par les Occidentaux. Ils avaient tenté de résister, d'interdire cette drogue, mais les voilà forcés d'en accepter le commerce. Et le voilà, lui, marionnette des Occidentaux. Quelque part dans son songe sans rêves, dans le nuage qui lui brouille les pensées, il ressent une honte, et un désir intense de disparaître, de s'en aller d'ici.
Et soudain, il disparaît.

1938.
Son magasin a été attaqué cette nuit. Comme tous les magasins de la rue. Sur un des murs est inscrit un mot : Juden. Tout a été détruit. Ils ont tout perdu. Elle pleure depuis des heures. On leur interdit tout, on les détruit, on les empêche de vivre. Bientôt, on leur annoncera sûrement qu'ils ne sont pas les bienvenus en Allemagne. Tout ce qu'elle veut, c'est disparaître. Que tout cela s'arrête.
Et soudain, elle disparaît.

1976.
Il a faim, si faim. Mais il doit travailler. Il mangerait de l'herbe, s'il le pouvait. D'ailleurs, il en mange, parfois. On le fait chanter des hymnes à la gloire du grand leader, et à la gloire du communisme. Pol Pot est un grand leader, tout ce qu'il veut, c'est l'aider à être plus résistant. Mais il a si faim, et il n'a pas vu sa famille depuis si longtemps. Il voudrait juste que tout s'arrête. Il voudrait retrouver sa vie d'avant, celle où il mangeait normalement, où il était heureux. Tout n'était pas parfait, mais il était heureux. Aujourd'hui, il n'est qu'un vide, un vide sans fin. Il veut juste que tout s'arrête. Il veut juste disparaître.
Et soudain, il disparaît.

2018.
Vivre a chez lui un goût fade et amer. Il pensait que la vie avait un sens, qu'elle devait s'améliorer de jour en jour ; mais en vérité, la vie est un cercle monotone, le condamnant à effectuer chaque jour, année après année, la même action, le même quotidien. Tout se répète. Tout se répète. Tout se répète. Il va travailler, il rentre. Il va travailler, il rentre. Et la vie perd son sens, et lui ne voit plus, n'entend plus, ne goûte plus. Il ne sent plus. Il n'est plus lui-même à vrai dire. Et un jour, il réalise qu'une pensée grossit, grossit, grossit : il veut juste disparaître.
Et soudain, il disparaît.

On raconte que certaines personnes disparaissent soudainement, magiquement. Personne ne sait ce qu'elles deviennent, où elles vont. On a beau étudier toutes les pistes, les chercher à l'étranger, chercher un corps, on ne trouve rien. Elles se sont tout simplement volatilisées.
Personne ne sait que les étoiles sont responsables ; qu'entendant leurs cris de détresse, leur volonté de disparaître, elles ont exaucé leur vœu. Elles les ont emmené dans un autre monde et leur donnant une seconde chance en faisant d'eux des Altérés. Et c'est à eux de décider ce qu'ils feront de cette ville qui leur appartient désormais.